Longtemps, les hommes ont grandi avec des pères peu à l’aise pour exprimer leurs émotions, héritiers d’une époque – d’après-guerre jusqu’aux années 1980 – où la masculinité se transmettait sans mots, par le silence ou le devoir. Aujourd’hui, avec la remise en question des stéréotypes de genre, une nouvelle génération d’hommes s’autorise enfin à mettre des mots sur ce vide, à questionner ce qu’ils ont reçu, et à se réinventer. Bref, à briser le silence des pères.
Un héritage de non-dits
Dans de nombreux récits, notamment ceux d’enfants d’immigrés, le silence des pères s’impose comme une barrière entre générations. Ce silence n’est pas seulement absence de mots, mais aussi absence d’explication sur les souffrances, les sacrifices et les espoirs des pères venus d’ailleurs. Rachid Benzine, dans Les silences des pères, montre comment ce mutisme est parfois un acte d’amour : « Les vieux comme ton père, ils ont voulu que toutes les souffrances, tout ce qu’ils ont subi s’arrête avec eux. Ils voulaient vous en préserver ». Mais pour les enfants, ce silence peut être ressenti comme de l’indifférence, voire une forme d’abandon émotionnel.
Le poids du modèle masculin
Historiquement, la figure paternelle s’est construite sur la retenue émotionnelle. Être un homme, c’était être stoïque, autoritaire, peu enclin à l’expression des sentiments. Ce modèle, hérité de l’après-guerre et encore présent jusqu’aux années 1980. Il valorisait le silence comme signe de grandeur morale et de force. Les pères, accaparés par le travail, étaient souvent absents du foyer, et leur rôle se limitait à une figure publique, rarement intime. Ce silence s’est transmis de génération en génération, renforçant l’idée que l’homme ne doit pas montrer ses failles.
Conséquences pour les enfants
Le silence du père prive souvent l’enfant d’une meilleure connaissance de la réalité paternelle, mais aussi d’un lien affectif essentiel. Il crée un vide, une distance difficile à combler, parfois même après la mort du père. Beaucoup de fils et filles témoignent de cette quête de sens, de ce besoin de comprendre l’homme derrière le silence, souvent trop tardivement.
Quand le silence devient message
Pour certains, le silence est un langage en soi. Il peut être protecteur, pour éviter de transmettre des blessures ou des rancœurs. Mais il peut aussi être une forme de violence passive, une punition ou une manière d’exercer un pouvoir dans la relation. Ce silence, lorsqu’il devient systématique, empêche le dialogue, nourrit la rancune et coupe la possibilité de compréhension mutuelle.
Vers une évolution ?
Aujourd’hui, la remise en question des stéréotypes de genre ouvre un espace nouveau. Les modèles d’hier, fondés sur la force, la retenue, le silence émotionnel, vacillent. Une nouvelle parole paternelle émerge, plus consciente, plus ouverte. Les fils d’hommes taiseux, élevés dans le non-dit ou dans des repères rigides, commencent à interroger ce vide qui les a marqués. Ils cherchent à comprendre ce qu’ils ont reçu — ou ce qui leur a manqué — non pas pour accuser, mais pour transformer, pour briser le cycle du silence.
Ce chemin demande du courage. Il faut oser aller à la rencontre de ses propres blessures, de ses failles, de son histoire familiale. Mais c’est aussi l’opportunité de transmettre autrement. De ne plus reproduire. De devenir un homme qui parle, qui écoute, qui relie.
La littérature contemporaine accompagne ce mouvement. Dans des romans comme celui de Rachid Benzine, on voit des fils qui questionnent, des pères qui tentent de répondre, et surtout des silences qui deviennent peu à peu des ponts. Ces récits touchent juste, car ils montrent que même les non-dits peuvent devenir matière à lien, à réparation, à transmission.
C’est peut-être là le véritable enjeu du coaching des hommes aujourd’hui : transformer les héritages muets en dialogues vivants, et réconcilier ce qui semblait séparé.
Conclusion
Le silence des pères, loin d’être anodin, façonne les relations familiales et individuelles. Comprendre ses origines et ses conséquences, c’est déjà amorcer un dialogue, même tardif, pour mieux se connaître et se transmettre. Au-delà de la douleur et de l’incompréhension, le silence peut devenir, s’il est interrogé, une porte vers la réconciliation et l’amour filial.